C'est en 1769 que le duc de Chartres, futur duc d'Orléans (Philippe Egalité sous la Révolution) achète le domaine de Monceau, peu après son mariage avec la princesse de Penthièvre. Il demande à Louis Carrogis dit Carmontelle d'y créer un lieu de plaisir et de rencontre adapté aux fêtes et aux spectacles. Ce dernier crée un jardin pittoresque en juxtaposant des scènes de tous les temps et de tous les pays : un bois, un obélisque, une pyramide égyptienne, une Naumachie et plusieurs pavillons, portiques et barrières chinois.
En 1783, l'écossais Thomas Blaikie prend la direction du jardin et réorganise la "Folie de Chartres" en simplifiant le tracé et en diversifiant les plantations. Puis en 1785, la création de la barrière d'octroi par Claude Nicolas Ledoux prend à Monceau la forme d'un petit temple rond entouré de colonnes où le prince se réserve un salon à l'attique pour admirer son jardin.
La "Folie de Chartres" est confisquée aux Orléans comme l'ensemble de leurs biens en 1793 et devient jardin national avant de leur être rendue sous la Restauration. En 1860, le domaine est acheté par la ville de Paris conformément à la volonté de Napoléon III qui souhaite restructurer la ville autour de parcs, jardins et bois. La moitié du domaine est alors vendue aux banquiers Pereire qui s'engagent dans le lotissement du quartier tandis que le parc est aménagé sur un peu plus de huit hectares par Adolphe Alphand qui conserve une partie des anciennes fabriques associée à de nouveaux éléments comme la rivière et son pont. Gabriel Davioud sera chargé quant à lui de réaliser les entrées monumentales.
Les familles Pereire, Rothschild, Cernuschi, Ménier et Camondo font élever des hôtels particuliers sur ce nouveau lotissement dont les jardins privés ouvrent sur le parc...
La plus puissante famille de banquiers de l'Empire Ottoman, les Camondo, choisit de s'installer à Paris sous le Second Empire. En 1869, Abraham-Behor de Camondo (1829-1889) fait élever un hôtel particulier par l'architecte Denis-Louis Destors au 61 de la rue de Monceau et son frère cadet, Nissim (1830-1889), s'installe dans un hôtel mitoyen, au 63. Les deux demeures à la splendeur ostentatoire caractéristique du Second Empire et les titres de comtes italiens consacrent l'établissement de la famille au sein de la haute société parisienne.
Délaissant les charges de la haute finance, la génération suivante est celle des collectionneurs. Isaac (1851-1911), le fils d'Abraham-Behor exprime des goûts eclectiques dans ses passions. Il se détache de l'hôtel particulier du 61 rue de Monceau et promène ses collections dans des appartements de location. Vice-Président de la société des Amis du Louvre dont il est un des fondateurs en 1896, il lègue l'essentiel de ses collections au musée du Louvre : Estampes japonaises, mobilier du XVIIIème siècle, tableaux impressionistes qui se trouvent aujourd'hui répartis entre le musée d'Orsay, le musée Guimet et le château de Versailles.
Moïse de Camondo (1860-1935), le fils de Nissim, est très différent de son cousin : Il est l'homme d'une collection et d'une maison en privilégiant une cohérence stylistique et temporelle. Avec une grande rigueur, il s'attache aux dernières décennies du XVIIIème siècle, celles de la période Transition et du règne de Louis XVI. Les oeuvres de l'époque rocaille ou du règne de Louis XIV, peu nombreuses, viennent souligner l'audace ou la rigueur en contrepoint. Il commence sa collection personnelle dès la fin du siècle aidé par les conseils avisés de Carle Dreyfus, conservateur au musée du Louvre, et de Louis Metman, conservateur au musée des Arts décoratifs.
Pour abriter ses collections et pouvoir les développer dans leur cohérence, Moïse de Camondo décide de reconstruire son hôtel familial du 63 rue de Monceau. En 1910, il charge l'architecte René Sergent de relever ce défi : Construire un hôtel classique entre cour et jardin à la modernité travestie sur une parcelle donnant sur les cours arrières du boulevard Malesherbes. Il dessine un plan en "L" : Les salons s'ouvrent sur les frondaisons du parc Monceau alors que l'ensemble des espaces de circulation lié au service est reporté sur la façade arrière donnant sur une impasse.
L'élévation du nouvel hôtel de Camondo est inspiré du Petit Trianon. Comme pour le petit château à la grecque de Ange-Jacques Gabriel, les niveaux décalés de la cour donnant sur un "rez-de-chaussée bas", et du jardin donnant sur un "rez-de-chaussée haut", sont le prétexte à développer l'hôtel autour d'un escalier monumental ouvrant sur une galerie. Toute la distribution intérieure est conçue à partir des boiseries acquises pour l'essentiel en 1910 et 1911. Les lambris du Salon doré ont séduit par leur élégance aristocratique ; ceux de la bibliothèque commandent les proportions des fenêtres du premier étage alors que la suite de peintures de Jean-Baptiste Huet, acquise en 1900, détermine la forme ovale du Grand Salon et l'hémicycle à la jonction des deux ailes.
Le rez-de-chaussée haut, donnant de plain-pied sur le jardin, est consacré à la vie sociale et mondaine alors que le premier étage, plus intime, abrite les appartements privés. Aucun détail ne sera laissé au hasard. Moïse de Camondo fait preuve d'une patience et d'une opiniâtreté exceptionnelle pour réaliser son grand dessein : Il saura convaincre la même année deux collectionneurs de lui céder chacun un bas d'armoire de Leleu placés dans le grand bureau ; mais c'est à trente ans d'intervalle qu'il réunit deux commodes à l'anglaise dans le Salon des Huet.
L'hôtel de Camondo est ainsi un chef d'oeuvre des Arts décoratifs du XVIIIème siècle réalisé au XXème siècle : Une maison dotée de tout le confort moderne, adaptée à son temps, derrière des façades, des boiseries, des meubles et objets d'art dignes des plus belles résidences aristocratiques d'Ancien Régime...
(à suivre)
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